Alors qu’il voulait trancher la gorge de ses clients avec un complice espagnol, un chef s’est finalement tiré une balle dans le pied.

C’est toujours avec beaucoup de plaisir que j’attends le samedi matin pour prendre le temps de rédiger le billet du week-end de #tribuohayon. Il est souvent le reflet d’un échange que j’ai eu en semaine avec un professionnel, ou issu de l’observation des médias.

Comment passer cette semaine à côté de la vidéo Facebook de Vincent Durin, propriétaire et Chef du restaurant Les moulins de Saint-Aygulfde, qui donne son opinion sur les avis laissés par ses clients sur Tripadvisor :

« A un moment donné, il faut arrêter! Vous vous prenez pour quoi ? Vous avez tous un Thermomix chez vous et ça y est vous vous prenez pour des grands chefs ?!?! Vous avez qu’à venir faire la bouffe ici, tous les jours, on fait tout maison nous, bande de gros nazes ! »

En dépit d’une vulgarité qui n’apporte rien au propos, cette vidéo a été relayée par la profession sur les comptes personnels de nombreux chefs, du grand public, et de la presse ; elle a été vue plus de 600 000 fois.

Ce qui attire mon attention, c’est le clivage entre d’un côté, le salut unanime de la profession, et de l’autre, la colère des consommateurs à l’encontre de l’émetteur du message ! Le président de l’UHMI, qui se félicite des  « nombreux » messages de la profession, les journalistes gastronomiques qui donnent une résonance certaine à cette actualité, et les patrons de guides qui partagent tour à tour cette vidéo sur leurs profils Facebook, tout laisse à croire que l’ensemble des acteurs de la gastronomie cautionne le propos !

Pour camoufler le tout, on s’amuse de celle-ci car « c’est un coup de gueule », donc ce n’est pas très grave, c’est juste pour faire le buzz…

Ah pardon, comme c’est un coup de gueule, il est donc autorisé de proférer des menaces, telles que « Enriqué, c’est un espagnol, c’est un malade lui, il va tous vous trancher la gorge ». Allusion qui dans l’inconscient collectif, fait penser aux menaces qui créent cette insécurité dans le monde.

Ah pardon, ce sont les commentaires laissés sur tripadvisor et non le site lui-même qui sont dénoncés ! Evidemment, le client c’est l’ennemi, pour ma part, j’étais persuadé que c’était lui qui faisait le chèque en fin de mois à mes salariés.

Ah pardon, « il y a toujours une sensibilité de cuisinière derrière un chef » comme cela a été de nouveau déclaré sur RMC par le même protagoniste lors d’une interview ; la faiblesse féminine de l’homme, quitte à donner l’origine de la forme de la prise de parole qui n’a pas de fond, autant le faire avec bonne couche de sexisme !

Etre un lanceur d’alerte, ce n’est pas un jeu. C’est avoir une prise de conscience forte sur un sujet qui dénonce une situation grave et une connaissance parfaite de son sujet. C’est savoir se mettre en avant des autres, en utilisant les médias pour qu’une situation ne se reproduise plus.

Etre un entrepreneur professionnel, (je ne remets pas ici en cause la qualité de sa cuisine – je parle de la responsabilité de l’entrepreneur) c’est savoir aussi dénoncer des situations, ne pas se tromper d’ennemi, et surtout savoir sortir de la phase de rancœur qui permet de construire et d’apporter des solutions à son client ou à son confrère.

Je ne vois ni le profil du lanceur d’alerte ( 5 avis horribles sur son profil Facebook tu parles d’un scandale !), ni le second profil d’entrepreneur professionnel, car dans une société dénoncée par tous, qui manque de sens et ne nous rassure pas sur l’avenir, je ne suis pas sûr que la menace soit le bon angle.

Vous avez surement lu les articles des journalistes (stagiaires ?) qui sacralisent le personnage, ou encore regardé la vidéo, mais vous n’avez peut-être pas analysé les commentaires des internautes, souvent clients, qui à 90 % reflètent l’opinion collective.

J’ai pris les premiers exemples sur le site de Jean Marc Morandini

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A – « Je suis en total désaccord avec ce monsieur, en cuisine on est humble on respecte son hôte. Ce monsieur à perdu sa fierté . »

B – « Ce chef est très en colère ; cela n’arrangera pas son problème. Dans ce cas il faut qu’il se calme, qu’il cherche une solution, et s’il n’en trouve pas, qu’il prenne conseil auprès d’autres professionnels. »

C – « Eu égard à la réaction du chef Vincent Durin critiquant Tripadvisor, je suis allé vérifier. Alors, dans les catégories :
–« horrible » dernier message de février 2016
–« médiocre » 2 messages datant de 2 jours et 1 semaine
Ces 3 derniers messages ont donc déclenché l’ire de ce cuisinier sur les 460 publiés ?
Florilège des insultes à l’égard des clients par ce cuisinier :

« Parce que il y a des espèces d’enculés ! Ils se prennent tous pour des grands chefs ! Espèce de trou du cul ! Ces putains de messages ! Ne fait pas des critiques à deux balles ! Les saveurs on s’en bat les couilles ! Vous vous prenez pour des grands chefs ?! Bande de gros nazes ! Vous m’avez cassé les couilles ! »

Plus grave encore, et là cela pose un problème pour lequel ce cuisinier doit s’expliquer : « Enrique lui c’est un Espagnol, c’est un malade ! Il va tous vous trancher la gorge lui hé oui hein ! » « Tous vous trancher la gorge » ????

D – « Aucune envie d’aller dans un resto ou le personnel se comporte comme ça »

E – « on va aller manger là-bas et après on fera un avis sur « tripadvisor »,on va le dézinguer »

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Une profession qui cautionne, un public légitimement scandalisé qui dénonce une extravagance.

Ce buzz est un bad-buzz pour la profession, et cela met en lumière que vos propres comptes dans les réseaux sociaux sont des médias à part entière, et lorsque vous colportez à votre audience ce type de message, vous cautionnez une situation, un propos.

Cela démontre aussi que nous avons tous une responsabilité dans nos prises de parole, et oui, cuisinier-patron, c’est être entrepreneur !

Je reste persuadé qu’une partie de la solution est dans l’intelligence collective et le partage des opinions, ainsi nous trouverons les meilleurs compromis pour former notre société.

 

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